EV : Antoinette Hubert, vous êtes la directrice du musée ARCHÉA et la responsable du service Archéologie et patrimoine de la communauté d’agglomération de Roissy Pays de France. Est-ce que vous pouvez nous présenter ce qu’est ARCHÉA ?
AH : Aujourd’hui, il faut bien comprendre qu’ARCHÉA ce n’est pas qu’un musée. C’est avant tout un projet. Un projet de mise en valeur des 42 villes qui composent la communauté d’agglomération. Grâce au service Archéologie et patrimoine de Roissy Pays de France, nous apportons nos compétences techniques aux communes pour qu’elles puissent valoriser leur patrimoine. Au quotidien, cela se traduit donc par la mise en place de divers projets de fond de concours qui financent la restauration du patrimoine des communes.
EV : Qui est à l’origine de ce projet ?
AH : Aux origines d’ARCHÉA, on trouve une association locale, le Groupe de Recherches Historiques de Louvres en Parisis (GRHALP), qui a révélé des tombes mérovingiennes de l’époque de Clovis (480 – 520 après J.C) dans la nécropole de Saint-Rieul à Louvres. Ces découvertes magnifiques ont mis au jour de nombreux objets prestigieux faits d’or, de grenat ou d’argent – pour la plupart des fibules (des broches anciennes), des bijoux et autres dépôts de vases en verre -, et ont motivé la création sur place d’un petit musée associatif. C’est seulement à partir de 2000 que le musée est intégré aux projets communautaires de ce qui s’appelait encore à l’époque Roissy Porte de France. À partir de là, l’objectif du musée devenu intercommunal n’est plus seulement centré sur ces fameuses découvertes, mais bien sur un projet plus global dont l’idée centrale est la valorisation de l’ensemble des découvertes archéologiques faites sur tout notre territoire.
EV : Quel lien entretenez-vous avec Paris-Charles de Gaulle ?
AH : Un lien que je qualifierais d’organique, puisqu’une convention lie le Groupe ADP à Roissy Pays de France. Elle a notamment pour objectif de valoriser les découvertes qui proviennent de l’extension des pistes de Paris-Charles de Gaulle et du contournement de la Francilienne. À l’époque, les fouilles entreprises avaient permis de découvrir des sites d’habitats gaulois et gallo-romains et révélé de nombreux objets du quotidien comme des broches ou des poteries anciennes. Certains de ces objets avaient d’ailleurs été présentés à la Maison de l’Environnement et du Développement Durable de l’aéroport puis au sein du musée. Quelques-uns sont aujourd’hui présentés dans les vitrines de notre exposition permanente.
EV : Aujourd’hui, des fouilles archéologiques sont-elles toujours en cours sur la communauté d’agglomération ?
AH : Absolument ! La loi sur l’archéologie préventive impose de procéder à un diagnostic archéologique prescrit par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) avant tous travaux d’aménagement. Si ce diagnostic est « positif », c’est-à-dire que si on repère qu’il y a des objets ou des traces archéologiques dans les sols, alors on procède systématiquement à des fouilles. Mais ce ne sont pas nos services qui les mènent : elles sont entièrement réalisées par des opérateurs professionnels publics, privés ou encore par des associations. Et comme la densité de population à proximité de Paris-Charles de Gaulle génère de nombreux lotissements et aménagements, des fouilles sont menées très régulièrement. En accord avec les services de l’État, les objets archéologiques mis au jour sur le territoire de Roissy Pays de France sont conservés par le musée, et pour certains intégrés dans les collections « musées de France ». Il nous arrive ensuite de les exposer en notre qualité de musée local et communautaire.
EV : Justement, à qui s’adresse le musée ?
AH : Le musée s’adresse principalement à un public familial, local, novice en matière d’archéologie, et qui souhaite découvrir la richesse du patrimoine de son territoire. En temps normal, nous accueillons également beaucoup de groupes scolaires et de centres de loisir qui constituent près de la moitié de nos visiteurs.
De manière générale, nous sommes ouverts à un public le plus large possible !
Directrice du musée ARCHÉA
EV : Le musée est donc envisagé comme un outil de vulgarisation ?
AH : C’est cela. Il faut bien comprendre qu’en tant que Musée de France, nous disposons à la fois d’une caution scientifique reconnue, puisque tout notre personnel est fonctionnaire de la fonction publique territoriale en filière culturelle, et d’un rôle de vulgarisateur auprès du grand public. Nous avons donc vocation à assurer la transition entre les archéologues, les historiens, les scientifiques et les visiteurs, quels qu’ils soient. Pour cela, nous nous attachons à adopter un discours qui est scientifiquement très juste et compréhensible par le plus grand nombre, en proposant différents niveaux de lecture.
Rendre accessible mais ne pas simplifier
Au cours de l'interview, Antoinette Hubert a rappelé à plusieurs reprises l'importance pour le musée de tenir un discours scientifique juste et compréhensible, mais jamais simplifié. Il s'agit bien pour ARCHÉA de rendre ses expositions le plus accessible et universel possible, pas d'en dénaturer la teneur.
EV : Et comment le musée vit-il à l’heure de la Covid-19 ?
AH : Pour le musée, le contexte sanitaire actuel est délicat car nous ne pouvons plus accueillir personne au sein de nos infrastructures. Et cela risque de durer encore. Alors nous nous adaptons ! Depuis le mois de décembre dernier, nous réalisons des actions hors nos murs en intervenant directement dans les classes des établissements scolaires de la communauté d’agglomération. De la maternelle au lycée, nos médiateurs se déplacent désormais dans les écoles pour proposer des présentations et ateliers en lien avec les collections du musée, en mettant en place un protocole sanitaire rigoureux, dans le respect strict des gestes barrière.
Ateliers ARCHÉA en classe ©C. Velly - ARCHÉA -CARPF.
EV : Des ateliers et présentations ?
AH : Tout à fait. Ce sont ceux que l’on réalise habituellement au musée et que l’on propose aujourd’hui en format itinérant. Concrètement, nos intervenants viennent en classe présenter un thème, toujours en rapport avec le programme scolaire des élèves – sur la frappe de monnaie gauloise ou les jeux du Moyen Âge par exemple -, et animer un atelier pratique dans la foulée. Les jeunes sont donc amenés à manipuler divers outils et textures pour créer leur propre fibule, objet en poterie ou fresque gallo-romaine. En général, les élèves sont très réceptifs car quand la pratique complète la théorie, l’expérience ne peut être que ludique et réussie !
Production ateliers ARCHÉA en classe ©ARCHÉA -CARPF
EV : Et que proposez-vous aux particuliers ?
AH : Pour les particuliers, là encore, la situation actuelle nous oblige à nous adapter. Nous essayons de proposer des conférences en ligne régulièrement, à peu près tous les deux mois, pour présenter les expositions et les projets sur lesquels nous continuons de travailler. Nous mettons également en place des visites virtuelles de nos anciennes expositions, depuis notre site internet, et réfléchissons à développer des animations avec nos médiateurs qui interviendraient depuis la salle d’exposition, face caméra.
EV : Un dernier mot pour inciter nos lecteurs à venir vous voir quand le musée rouvrira ?
AH : Si je devais m’adresser aux lecteurs de votre article, je dirais que le musée ARCHÉA ce n’est pas une tour d’ivoire coupée du monde. C’est un musée qui s’adresse à tous, une véritable architecture dans la ville, ouverte sur la société. Chacun doit se sentir libre d’y venir, même si ce n’est que pour cinq minutes, même si ce n’est que pour voir un seul objet. C’est le patrimoine de tous les habitants du territoire et nous mettons tout en œuvre pour qu’ils se sentent chez eux dès qu’ils franchissent nos portes. Alors dès que l’on pourra rouvrir, nous serons prêts à les accueillir pour venir fêter les 10 ans du musée grâce à une programmation inédite. Voilà !