Ingénieure aéronautique de formation, Blandine Landfried a rejoint la direction du Développement durable et des Affaires publiques du Groupe ADP en novembre 2020 en tant que chargée de projet sur l’aéroport hydrogène.
Elle nous décrit les chantiers qui l’attendent dans le cadre de l’avènement de cette rupture technologique majeure, ainsi que les enjeux technologiques, économiques, et parfois politiques qui y sont liés.
« L’avion à hydrogène est une révolution industrielle. »
En quoi consiste exactement votre travail ?
Je suis chargée de définir la feuille de route pour accélérer l’introduction de l’énergie à l’hydrogène sur les plateformes parisiennes, dans le cadre de la décarbonation du transport aérien et des activités aéroportuaires.
Je m’attelle à préparer les aéroports pour que l’on soit en mesure d’y accueillir l’avion à hydrogène dans les meilleures conditions. Pour cela, je mobilise les différentes directions du Groupe ADP, et j’échange avec les industriels de la fourniture d’énergie comme de l’aéronautique, ou encore avec les collectivités territoriales et les institutions.
Mon rôle consiste également à fédérer les acteurs de la communauté aéroportuaire, au sens large, et à coordonner nos projets respectifs sur le sujet hydrogène. Avec un objectif : proposer la vision la plus cohérente possible pour le déploiement de ce vecteur d’énergie et de ses usages sur les plateformes parisiennes.
« Le Groupe ADP a un rôle de fédérateur de communauté pour réussir la transition vers l’énergie hydrogène. »
L’hydrogène décarboné, ou bas-carbone, est une technologie émergente et encore extrêmement chère. Pour faire décroître les coûts, nous devons multiplier les usages, et pour cela, il faut être nombreux.
Ma mission s’articule sur deux niveaux :
- À moyen terme, à l’échelle du territoire aéroportuaire : faire de l’aéroport un écosystème territorial hydrogène, c’est-à-dire un territoire sur lequel de l’hydrogène est distribué pour permettre d’alimenter des usages locaux, tels que les usages en mobilité – bus, navettes, taxis, camions -, les engins d’assistance en escale, les équipements de fret et logistique, voire même l’alimentation en chaleur et énergie de certains bâtiments.
J’ai un rôle d’« agitatrice » concernant l’hydrogène, je sème les graines qui germeront dans six mois, un an ou plus pour aider à la prise de conscience sur la nécessité de se coordonner entre acteurs aéroportuaires afin de faire émerger la filière sur les plateformes. Pour le Groupe ADP, réaliser la transition vers l’hydrogène seul n’a pas de sens : c’est un sujet qu’il faut traiter globalement, et au sens du territoire. Cela fonctionnera si toute la communauté aéroportuaire engage la marche : les compagnies et les assistants d’escale, les opérateurs logistiques, les acteurs de la mobilité, tout comme les territoires qui hébergent les plateformes.
À plus long terme, sur le volet des infrastructures aéroportuaires : préparer l’arrivée de l’avion à hydrogène, annoncée par Airbus pour 2035. Et là, effectivement, il va falloir qu’on commence à travailler avec les constructeurs aéronautiques et les industries de l’hydrogène, pour acheminer et distribuer sur les plateformes de l’hydrogène dans des quantités qu’on n’a pas l’habitude de manipuler aujourd’hui. Et bien sûr aussi avec les institutions européennes, les Services de l’Etat, et les associations d’aéroports européens et internationaux.
Quels sont les avantages de l’hydrogène pour le transport aérien ?
Avant tout, il est important de comprendre que l’hydrogène n’est pas, à lui seul, la clé de la transition énergétique. C’est une des briques qui va nous permettre d’atteindre les objectifs, mais elle ne suffira pas à résoudre l’intégralité des problématiques sur la question. Il faut aussi s’appuyer sur les autres énergies décarbonées et durables pour réussir à atteindre nos objectifs de transition énergétique.
Cela étant dit, l’hydrogène présente des caractéristiques techniques avantageuses. Par rapport aux batteries électriques classiques, par exemple : pour volume équivalent, un réservoir d’hydrogène permet à un véhicule une plus grande autonomie, un temps de recharge beaucoup moins long et délivre une plus grande puissance. Des atouts majeurs quand il s’agit d’avions.
L’hydrogène est aujourd’hui l’alternative la plus complète pour décarboner les avions. Mais, il ne faut pas perdre de vue que la décarbonation du transport aérien repose sur deux leviers complémentaires : le vecteur hydrogène pour les courts et moyens courriers d’une part, les carburants alternatifs durables pour les longs courriers d’autre part. Sur ce point, n’oublions pas que les biocarburants aéronautiques durables feront leur entrée dès 2021 dans l’exploitation des plateformes parisiennes. Quand on sait que l’hydrogène ne sera pas disponible pour les avions avant 15 ans, ce n’est pas une option négligeable.
Aujourd’hui, 95 % de l’hydrogène est fabriqué à partir d’énergies fossiles (gaz naturel, pétrole) et de bois. L’hydrogène est alors dit gris : il émet du carbone. Ce mode de production historique n’est pas compatible avec les objectifs du Groupe ADP qui souhaite utiliser ou faire utiliser de l’hydrogène décarboné dit vert.
Pour ce faire, l’électrolyse de l’eau est une solution extrêmement vertueuse, mais qui demande une importante source d’énergie en amont, qui doit être la plus verte possible.
Cette énergie renouvelable, soit on la produit – mais en France on n’a pas toujours le potentiel pour cela -, soit on l’acquiert.
Notre modèle énergétique français repose sur un mix énergétique : nous utilisons certes, et de plus en plus, des énergies renouvelables, mais également de l’énergie nucléaire. Cette énergie nucléaire est décarbonée mais non renouvelable. La question va se poser de savoir si l’on accepte de qualifier de vert l’hydrogène produit à partir de ce mix énergétique pas complètement renouvelable donc. C’est une décision qui relève de la compétence de l’État.
Hype, la première flotte de taxis hydrogène (NKBF sur Wikimedia, licence CC BY-SA 4.0)
En 2017, le Groupe ADP et Air Liquide ont inauguré des stations hydrogènes. Aujourd’hui, ces stations sont utilisées par les taxis Hype, et il n’est pas exclu que, si le Groupe ADP venait à acquérir des véhicules hydrogène, on puisse utiliser ces stations également pour alimenter ces véhicules.
À quoi ressemble l’avion à hydrogène d’Airbus ?
Il est placé sous le sceau du secret industriel, mais il s’agit d’un avion hybride dont les turbines seraient directement alimentées par de l’énergie hydrogène et qui serait doté également d’une pile à combustible à hydrogène pour générer de la puissance électrique.
« Ce qui est extrêmement intéressant, c’est que la solution n’est pas écrite. »
Je peux d’ores et déjà vous dire que l’avion à hydrogène va mobiliser la communauté aéroportuaire autour de quatre grandes questions : celle de la réglementation, celle de la préparation d’infrastructures dédiées à l’hydrogène, celle de l’adaptation de nos infrastructures aéroportuaires pour l’accueil de ce nouvel avion et celle de son exploitation.
D’abord, on va devoir être en capacité de distribuer de l’hydrogène en très grande quantité sur les plateformes : cela implique des moyens d’approvisionnement, de stockage et de distribution de cet hydrogène jusqu’aux avions. Tout est à faire.
Il faut inscrire ces réflexions dans un perspective de déploiement progressif de l’hydrogène sur les aéroports et de cohabitation avec le carburant actuel, qu’il soit durable ou non. En effet, la question de la pénétration du marché par ces avions à hydrogène est cruciale. Les compagnies ne vont pas pouvoir convertir toute leur flotte à l’hydrogène du jour au lendemain.
Et il y a un aspect technologique à considérer : à ce jour, l’hydrogène est pressenti pour les courts et moyens courriers, pas pour les longs courriers. C’est pourquoi les deux technologies vont cohabiter, probablement pendant plusieurs dizaines d’années.
Il faut également travailler le sujet de la réglementation ; pour l’instant il n’y a aucune réglementation industrielle ou aéroportuaire, en France, qui soit pleinement adaptée à des conditions d’exploitation d’hydrogène en si grande quantité dans les aéroports.
Ensuite, dès que nous aurons davantage d’informations sur les caractéristiques de l’avion à hydrogène, nous devrons travailler sur son accueil. D’une part, comme pour chaque nouvel avion mis en service, nous vérifierons sa compatibilité avec les infrastructures aéroportuaires, comme par exemple le design d’un poste avion, et nous adapterons celles-ci le cas échéant. D’autre part, en lien avec les compagnies aériennes et les assistants en escale, nous nous pencherons sur la manière d’opérer un tel avion au sol, et notamment sur l’organisation de son assistance en escale.
Qu’est-ce que l’utilisation de l’hydrogène va changer pour les riverains de l’aéroport ?
L’enjeu fondamental pour la riveraineté, comme dans tout projet de changement, c’est d’abord la sécurité. C’est pour garantir cette sécurité que nous nous entourons d’experts : nous sommes humbles face à cette révolution industrielle.
« Dans tout projet de changement aéronautique, avant de regarder les enjeux de performance opérationnelle, écologique et économique, il faut se poser la question de la sécurité. C’est le socle de tout projet aéroportuaire. »
Mais, s’il y a bien une industrie qui est capable de relever les défis de cette transition, c’est l’industrie de l’aéronautique et du spatial, qui a été toujours été extrêmement agile.
Ce qu’il faut, c’est que les réponses que nous apportons permettent de garantir le même niveau de sécurité des biens et des personnes que l’on utilise sur l’aéroport du kérosène ou de l’hydrogène. Pour nous en assurer, nous allons mener des études de risques et prendre chaque question l’une après l’autre. C’est pour cela que ce chantier représente un travail de plusieurs années. Puis, une fois que nous aurons toutes les réponses, il s’agira de veiller à leur diffusion et à leur harmonisation à l’échelle européenne.
En réalité, outre la dimension de sécurité, décrivant de façon la plus objective possible, les risques et les réponses que la science va pouvoir techniquement y apporter, il faut également considérer l’aspect plus subjectif, la façon dont l’humain va appréhender cette nouvelle technologie. Cet aspect sera également traité avec toute l’attention qu’il mérite, et fait déjà l’objet d’études au niveau européen.
Ensuite, et cela ne concerne pas uniquement les riverains, le grand avantage de l’hydrogène par rapport au kérosène, c’est qu’il pollue moins.
Dans tous les cas, il est évident qu’on ne va pas chercher à progresser dans un sens, celui de la décarbonation, pour dégrader d’autres indicateurs de performance tels que la qualité de vie des riverains.
Vous considérerez votre mission accomplie si…
… Si nous sommes prêts à accueillir sereinement l’avion hydrogène quand il arrivera !
Et si nous parvenons à être moteur dans cette transition, sans attendre que d’autres écrivent sans nous la solution.
Nous sommes un très grand groupe aéroportuaire mondial et européen, notre rôle, c’est aussi d’être en tête de pont.