L’association Aéro Biodiversité, créée en 2015, s’occupe d’évaluer, de valoriser et d’améliorer ces espaces et accompagnent les équipes de Paris Aéroport dans leur travail quotidien de gestion de la biodiversité (espaces verts et risque animalier). Pour cela, elle utilise une démarche singulière, la science participative, qui s’ouvre volontiers aux amateurs et aux curieux de nature. Entretien avec Julia Seitre, coordinatrice d’Aéro Biodiversité.
Qu’est-ce qui rend les prairies des espaces aéroportuaires uniques pour la biodiversité ?
La prairie de plaine est un milieu très menacé en Europe occidentale, car c’est un espace parfait pour l’urbanisation et l’agriculture.
Avant la construction des aéroports Paris-Orly et Paris-Charles de Gaulle, Roissy et Orly étaient des villes entourées de zones dédiées à l’exploitation agricole. Depuis que, pour des raisons de sécurité, cette agriculture s’est arrêtée à l’intérieur des aéroports, nous nous retrouvons avec d’immenses surfaces non-artificialisées. Ces prairies participent à la filtration de l’eau, permettent le stockage de carbone, et montrent une réelle richesse en insectes pollinisateurs.
Les aéroports protègent ainsi une biodiversité ordinaire. Par exemple, des plantes qui, ailleurs, seraient traitées aux produits phytosanitaires en raison de l’agriculture ou gérées d’une façon qui ne permettrait pas le développement complet de leurs cycles.
Environ 800
espèces ont été inventoriées par l’association dans les prairies de Paris Aéroport depuis 2014
Avoir ces prairies laissées en état naturel aux portes d’une ville comme Paris, dans des zones riches pour l’agriculture, c’est déjà en soi quelque chose d’exceptionnel.
Quelles sont les actions de l’association Aéro Biodiversité ?
Nous travaillons avec différents acteurs du secteur aérien au niveau national comme la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) et le Muséum national d’Histoire naturelle, mais aussi les compagnies aériennes et bien sûr, le Groupe ADP. Notre implication s’ancre sur le terrain : grâce à notre expertise et aux observations de nos biologistes, nous pouvons apporter des conseils sur la gestion de ces espaces.
Réalisation du protocole vers de terre à Paris-Orly © Roland Seitre/ Aéro Biodiversité
C’est ainsi qu’en collaboration avec nos partenaires, nous étudions les possibilités de modifier les rythmes des fauches. Selon les particularités locales, les plateformes peuvent être entretenues de façons plus économes : faucher moins souvent réduit les coûts et cela permet d’améliorer à la fois la biodiversité et la sécurité aérienne.
Pendant très longtemps, la DGAC a demandé à ce que les prairies soient inhospitalières à toute vie, pour qu’il n’y ait pas d’oiseaux qui entrent en collision avec les avions. L’interprétation de cette demande conduisait le plus souvent à conserver toute la plateforme tondue à ras pour éviter fleurs et graines attractives comme alimentation pour les oiseaux et/ou les rongeurs. Mais la nourriture n’est pas le seul facteur d’attraction et cela ne suffit pas à rendre le milieu inhospitalier. Les oiseaux grégaires en particulier apprécient de se regrouper sur de telles pelouses. L’écosystème est déséquilibré et ni la biodiversité ni la sécurité ne s’y retrouvent. A l’inverse, la présence de prédateurs sur les aéroports, comme les renards, contribue à protéger la zone par leur rôle de régulateur.
Vous faites aussi appel à la science participative : en quoi ça consiste ?
Le but de la science participative, qui est née en Angleterre il y a plusieurs années, est de démultiplier les données.
Plutôt que d’avoir un nombre restreint de données collectées par les scientifiques, la science participative permet d’obtenir un très grand nombre de ces données grâce à des amateurs, qui collectent des informations à travers des cadres très standardisés. Dans le cas des aéroports de Paris, cela se fait en partenariat avec le Muséum d’Histoire naturelle de Paris et son portail de science participative : Vigie Nature.
Je vois plusieurs avantages à l’utilisation de cette science citoyenne pour les prairies des aéroports. Cela permet par exemple d’impliquer du personnel qui travaille sur l’aéroport et qui n’avait pas forcément conscience de la richesse naturelle de leur lieu de travail. Et ce d’autant plus qu’ADP invite d’autres personnes volontaires travaillant sur la plateforme à nous accompagner. Et depuis 2019, les aéroports de Paris ont aussi commencé à faire participer des scolaires à la démarche.
Tout le monde s’imagine que l’industrie aéroportuaire est incompatible avec la vie naturelle. Or, en emmenant le public sur le terrain, nous lui prouvons le contraire. Nous ne prétendons pas qu’il n’y a pas de pollutions ou de bruit, c’est évident. Mais, sur les prairies aéroportuaires, loin des tarmacs et des pistes, l’odeur disparaît et le bruit est distant.
En même temps, les visiteurs découvrent souvent avec nous ce qu’est la biodiversité. La pollinisation des plantes n’est pas uniquement le fait des abeilles à miel, loin de là, puisque que 95 % de la pollinisation est faite par d’autres invertébrés, essentiellement des insectes, des araignées, des fourmis. Tout ça, nous l’explorons ensemble.
Colias : genre de lépidoptères de la famille des Pieridae et de la sous-famille des Coliadinae
L’autre aspect positif de la science participative, c’est l’apport massif de données pour la communauté scientifique. Les données collectées sont rentrées dans des portails nationaux et sont utilisées par des scientifiques dans le cadre d’études qui assurent les suivis sur la biodiversité sur un plan national.
Comment se déroulent les visites ?
En 2019, sur l’ensemble des prairies des aéroports de Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly et Le Bourget, nous avons réalisé 16 visites, avec 137 participants. Pour la première fois, nous avons ouvert ces visites aux scolaires, avec une classe de CM2, venue en juin dernier sur les prairies de Paris-Charles de Gaulle pour une journée de sensibilisation à la biodiversité.