Bruno Mazurkiewicz évolue dans le secteur aéronautique depuis toujours. Après avoir dirigé l’Airport Terminal Operations Limited (ATOL) à l’Île Maurice et l’aéroport international de Zagreb, il a posé ses valises en 2016, pour devenir directeur de l’aéroport Paris-Le Bourget et des aérodromes d’aviation générale. Heureux de ne jamais s’ennuyer, Bruno Mazurkiewicz pose un regard expert et pragmatique sur son travail quotidien. Il insiste sur le rôle central que jouent la réactivité comme le dialogue avec les riverains, en particulier dans cette période de pandémie.
EV : Comment pilote-t-on un aéroport comme Paris-Le Bourget ?
BM : Le pilotage au quotidien est parfaitement similaire à celui des aéroports Paris-Orly et Paris-Charles de Gaulle : mon équipe gère de la même façon les infrastructures sur le plan opérationnel. Nous garantissons la sécurité et la sûreté aéroportuaires de nos plateformes. La différence, c’est que la relation avec les passagers est nouée avec des opérateurs privés, les sept FBO (Fixed base operator) qui gèrent les huit terminaux de l’aéroport. Cette clientèle est distincte de celle des voyageurs de tourisme, puisqu’à la différence de Paris-Orly et de Paris-Charles de Gaulle, Le Bourget est le seul aéroport spécialisé à 100% dans l’aviation d’affaires. En outre, c’est le voyageur qui définit l’heure à laquelle il souhaite partir, voire l’heure à laquelle il souhaite arriver.
Hôtesse d'accueil escortant des passagers (photo prise avant la crise de la Covid-19)
EV : Comment s’organise votre équipe ?
BM : Mon équipe est constituée de collaborateurs impliqués et passionnés et est située pour l’essentiel au Bourget, mais aussi à Pontoise (95) et à Toussus-le-Noble (78). Les 12 plateformes dont l’héliport sont implantées dans un rayon de 50 km autour de Paris. Chacune de ces plateformes a ses spécificités, tant dans la composition de son infrastructure que dans la nature de son trafic. Le scope de nos thématiques est très large. Du matin au soir, nos agents sont extrêmement concentrés pour que tout se passe pour le mieux et interviennent sur des tâches réglementaires, des process aéroportuaires. Au-delà de la maintenance courante, l’étendue et la diversité de nos infrastructures nous conduisent à gérer un programme annuel d’investissements tout aussi diversifié.
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salariés du Groupe ADP travaillent à Paris-Le Bourget.
Le volet commercial, de prospection, de relation client est pleinement intégré à nos missions. Aussi, l’activité communication est fortement sollicitée pour des tournages et manifestations sur nos plateformes. La relation territoriale avec nos voisins riverains et élus est une composante majeure de la direction. D’autres actions marquent notre actualité. Par exemple, nous accompagnons la Fédération Française de l’Aéronautique (FFA) dans sa campagne pour le déploiement de l’avion électrique. À l’occasion du Paris Air Forum 2021 sur Paris-le Bourget, des démonstrations en vol d’un VTOL et avion électrique ont été présentées devant les visiteurs et la presse spécialisée.
Avion électrique Vélis Electro en vol
Il n’y a pas une journée qui ressemble à l’autre. Mon équipe est très rapprochée ; la chaîne de décision, très courte. D’autre part, si la stratégie découle de celle du Groupe ADP, elle est aussi spécifique au Bourget. Nous sommes en relation avec des opérateurs, des sociétés de maintenance, des constructeurs, avec de grands noms comme Dassault qui est implanté depuis plus de 50 ans sur Le Bourget, mais aussi avec de nombreux autres partenaires et clients.
Ce que j’aime le plus, c’est que rien n’est jamais ficelé à l’avance.
Directeur de l’aéroport Paris-Le Bourget
EV : Comment pilotez-vous les dix aérodromes d’aviation générale (AAG) ?
BM : Ce sont des aérodromes avec des spécificités propres, que ce soit par la nature et la volumétrie du trafic ou encore par la présence d’un contrôle aérien. Mais, peu importe la volumétrie, l’important, c’est d’assurer nos missions sur chacun d’eux et d’être réactif. Le nombre d’infrastructures est démultiplié, ce qui nécessite une organisation rigoureuse pour faire face à une typologie d’événements divers et variés. Pour autant, dans le domaine de la sécurité et de la sûreté, nous ne faisons pas d’économie et restons vigilants. L’écosystème de partenaires et clients basés est encore plus important que sur Le Bourget. À Toussus-le-Noble et à Pontoise, nous accueillons de l’aviation d’affaires, des aéroclubs pour le vol loisirs et sportif participant comme d’autres structures privées à la formation des pilotes. Beaucoup d’industriels y sont implantés, ce qui offre une diversité et un dynamisme sur le plan aéronautique. Sur les autres terrains, c’est l’aviation légère qui prédomine avec une majorité d’aéroclubs et quelques sociétés privées. Le panel d’infrastructures est très large : des terrains avec pistes revêtues mais aussi d’autres en herbes avec pour certains la présence d’une tour de contrôle. Ce qu’il nous manque, ce sont les hydravions !
Peu importe la volumétrie sur les AAG, l’important, c’est d’être réactif
Directeur de l’aéroport Paris-Le Bourget
EV : Pouvez-vous nous parler du musée de l’Air et de l’Espace et du Salon international de l’aéronautique et de l’espace (SIAE) ?
BM : Le musée de l’Air et de l’Espace est un véritable bijou, l’un des plus beaux musées de l’aéronautique au monde, magnifique. Il vient de faire l’objet d’un grand programme de rénovation orchestré par ses équipes. On y retrouve toutes les grandes pages de l’histoire de l’aéronautique au travers d’une muséographie moderne. La plateforme du Bourget a plus de 100 ans ; c’est le fruit d’un long développement qui a vu l’émergence d’une nouvelle industrie, des inventeurs, puis des activités militaires, jusqu’à la naissance de l’aviation commerciale. La salle des huit colonnes [devenue aujourd’hui le hall d’accueil du musée, NDLR] était le lieu où arrivaient les passagers, mais aussi celui d’où ils repartaient. Aujourd’hui, le musée fait partie intégrante de l’expérience client. La station de la ligne 17 [dont l’ouverture est prévue fin 2024, NDLR] sera située juste en face de l’entrée. C’est symbolique. Cette station est tout aussi importante pour tous les salariés des entreprises implantées sur notre site.
Salle des huit colonnes du musée de l'Air et de l'Espace ©SIAE
Le SIAE nous fait vibrer, c’est un événement majeur de notre calendrier qui mobilise intégralement mon équipe. Pour le préparer, il faut un énorme travail en amont qui ne se compte pas en jours, ni en semaines, mais en mois. Cela démarre quasiment un an avant l’édition et mobilise auprès de l’organisateur nos partenaires et l’ensemble des services compétents de l’État. L’image de Paris-Le Bourget est intrinsèquement liée au musée, mais aussi à ce Salon au rayonnement mondial qui a lieu tous les deux ans. L’impossibilité de le maintenir cette année en raison de la crise sanitaire est un crève-cœur pour nous tous.
La Patrouille de France en démonstration au SIAE ©Salon International de l'Aéronautique et de l'Espa
EV : Quelles ont été pour vous les conséquences de la crise sanitaire ?
BM : La plateforme Paris-le Bourget est toujours restée ouverte au trafic. Bien que nous ayons dû nous adapter, le noyau dur de l’exploitation et donc des opérations a été maintenu au quotidien. Sur le terrain, nombre de nos partenaires ont notamment assuré le trafic lié à l’assistance sanitaire. Dans le même temps, le trafic a logiquement baissé. En comparaison à 2019, le trafic 2020 a accusé une baisse de 38 %. Depuis, il reprend progressivement. Nous vivons cette année très particulière comme une année où le dialogue a été plus qu’indispensable, et ceci avec tous. Avec nos agents, avec nos partenaires, avec les usagers, avec les élus, avec les riverains, notamment pour accompagner la reprise du trafic. Le dialogue ne doit jamais cesser.
Nous vivons cette année comme une année de dialogue
Directeur de l’aéroport Paris-Le Bourget
Toutes les entreprises ont connu un contrecoup avec la crise sanitaire. Bien sûr, il est difficile de se projeter. Je suis confiant, la volonté des industriels de redynamiser l’écosystème a quelque chose de très motivant. De notre côté, nous avons l’ambition de poursuivre nos engagements sur le plan environnemental et d’entraîner nos partenaires. Les sujets ne manquent pas, la presse se fait l’écho au quotidien des projets d’avenir. A l’échelle du Bourget, nous sommes en cours de déploiement d’équipements de substitution à l’utilisation des APU [systèmes qui permettent de produire de l’énergie quand les moteurs principaux des avions sont à l’arrêt et donc de consommer moins de carburant, NDLR]. Et nous participons au projet de déploiement d’un réseau de chaleur basé sur une production géothermique sur la ville de Dugny.
Nous nous préparons à l’émergence de carburants verts (SAF), de l’hydrogène dans les prochaines années et au développement de l’usage de l’avion électrique sur nos aérodromes. Bien évidemment nous ne nous substituons pas aux constructeurs qui seront à l’origine de ces nouveaux équipements, mais nous devrons être capables de leur offrir des services d’accompagnement sur la plateforme. Et puis, je pense aussi au projet de vertiport (VTOL) : l’aéroport pour taxis volants fonctionnant à l’énergie électrique… C’est tout l’écosystème aéroportuaire qui est porteur d’ambitions !
Pour aller plus loin, retrouvez également nos entretiens avec Marc Houalla, directeur de Paris-Charles de Gaulle et directeur adjoint du Groupe ADP et avec Justine Coutard, directrice de Paris-Orly.