02/10/20 3 questions à

Dans les coulisses de l’Orly des sixties avec Paul Damm

Saviez-vous qu’il existait un mystérieux « sous-marin » sous l’aire de stationnement des avions de Paris-Orly ? Que, dans les années 60, l’aéroport était le monument le plus visité de France ? L’évolution des territoires au sud de Paris a été profondément impactée par la transformation des infrastructures de l’aéroport. Plongée dans une histoire dense, avec Paul Damm, conservateur du patrimoine.

Le Grand Hall du rez-de-chaussée en 1961

Le Grand Hall du rez-de-chaussée en 1961

Paul Damm est passionné par l’aviation depuis l’enfance. C’est donc assez naturellement que, plus tard, devenu conservateur du patrimoine au service Patrimoines et Inventaire de la région Île-de-France, il est parti à la découverte de l’histoire de l’aéroport Paris-Orly. Les équipes du Groupe ADP lui ont donné accès à des archives photographiques exceptionnelles, remontant à plus de 70 ans. Le fruit de ses recherches a pris vie dans un ouvrage richement illustré : Orly, aéroport des sixties, réalisé par la région Île-de-France avec le soutien du groupe ADP, et publié aux éditions Lieux Dits.

Quand débute l’histoire de Paris-Orly ?

Paul Damm : Paris-Orly est un aéroport centenaire. Très souvent, on imagine qu’il partage la même histoire que Paris-Charles de Gaulle. Ce n’est pas du tout le cas. Ce dernier est un aéroport construit dans les années 1960, tandis que Paris-Orly est né pendant la Première Guerre mondiale. Son histoire est non seulement beaucoup plus longue, mais elle est aussi militaire, ce qui n’est pas le cas de Paris-Charles de Gaulle.

Entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, l’activité de Paris-Orly, qui n’avait alors pas de pôle commercial, s’est concentré sur trois secteurs. En plus de l’activité militaire, il y avait la recherche et le développement. Les constructeurs d’avions parisiens y testaient leurs recherches aéronautiques. Enfin, l’aviation de tourisme occupait aussi une place importante. Des aviateurs et même de célèbres aviatrices comme Adrienne Bolland s’affrontaient lors de courses spectaculaires. Des industriels finançaient les prix pour faire ce que l’on appelait à l’époque de la propagande, et qu’on appellerait aujourd’hui de la promotion.

Avec la naissance du Grand Orly, en 1947, la superficie de l’aéroport passe de 800 à 1600 hectares

Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’aviation connaît une nouvelle dimension. La base militaire de Paris-Orly s’agrandit, et se trouve d’abord sous le contrôle des Allemands, puis sous celui des Américains.

En 1947, deux ans après la création du Groupe ADP, l’Etat décide de construire à Orly le grand aéroport desservant la capitale. Sa superficie double alors, et n’a pas bougé depuis. Les limites actuelles de Paris-Orly datent de 1954. C’est très étonnant de voir que ce qui a été pensé il y a cinquante ans fonctionne encore aujourd’hui.

Lors de vos recherches, quels faits vous ont particulièrement marqué?

Il y a en a beaucoup ! En tant qu’ancien étudiant en histoire de l’art, j’avais envie d’en savoir plus sur les deux hangars Freyssinet, qui ont été détruits pendant la deuxième Guerre mondiale.

Ces hangars à dirigeables sont réputés pour leur architecture des années 1920. Leurs grandes voûtes formées par des voiles pliées constituaient une structure absolument incroyable. Malheureusement, ces hangars n’ont jamais servi. Quelque part, ils ont apporté un côté éphémère à l’architecture de Paris-Orly.

Cet aéroport abrite aussi une légende urbaine : son fameux sous-marin. Ce terme désigne un grand tunnel en partance d’Orly 4 vers le sud, sous l’endroit où stationnent les avions.

Le personnel de la plateforme a longtemps cru qu’il s’agissait des prémices d’une gare permettant de relier l’aéroport à Paris en train. Mais, quand j’ai eu la chance de le visiter une première fois, je me suis dit que c’était bien étrange d’imaginer une station de train, car cet espace n’avait pas de quai.

Lors d’une autre visite, avec Michel Ricaud, un des principaux responsables de l’ingénierie de la plateforme, nous avons pris avec nous des plans issus des archives. Plus nous les regardions, plus nous comprenions que l’espace où nous étions n’avait rien à voir avec une gare. Nous venions de lever le mystère : le sous-marin était en réalité un tunnel de passagers qui était prévu pour un éventuel futur terminal en face d’Orly Sud.

Le mystérieux sous-marin de Paris-Orly

Autre souvenir. En 2015, j’ai rencontré un serveur, qui avait commencé sa carrière dans les années 1960 au 3 Soleils, le grand restaurant d’Orly-Sud dans les sixties, devenu par la suite L’Astrolabe. Ce serveur a vu les vedettes et les personnalités françaises défiler sous ses yeux. Il a servi Léon Zitrone et Yves Mourousi, il et a constaté la démocratisation du voyage en avion, qui dans les années 1960, était encore réservé à une élite. À l’époque, on venait à Orly pour des sorties en famille et les 3 Soleils était le « beau » restaurant. Paris-Orly était alors un haut-lieu de tourisme : en 1962, l’aéroport comptait 3,4 millions de visiteurs qui passaient admirer les envolées d’avions.

Ce serveur m’a aussi raconté comment les chocs pétroliers avaient changé le rapport à l’avion, et comment la clientèle s’était élargie au fil des décennies.

La foule des Parisiens à l’aérogare-Sud en 1956

Enfin, l’une des plus belles découvertes que j’ai faite lors de mes recherches, ce sont les photographies couleur du fonds photographique du Groupe ADP. Les images que nous avons des années 1960 sont souvent en noir et blanc. La Région a voulu publier un livre entièrement colorisé. C’est ainsi que l’on découvre d’incroyables uniformes d’hôtesses aux coloris très vifs ! On y trouve aussi, et de façon étonnante, beaucoup de photographies de passagers. François Tamisier, l’architecte en chef du Groupe ADP, m’a en effet expliqué que l’architecture d’un aéroport devait mettre en scène le passager.

 

Hôtesse de la Pan Am en uniforme couleur « Galaxy Gold », 1971

La formule m’a amusé, et a guidé le choix des photos de l’ouvrage : on y voit des personnes pressées, dans les salles d’attente, au comptoir… Ces photographies ont beau avoir été prises il y 70 ans, on se reconnaît beaucoup dans ces attitudes.

L’histoire de Paris-Orly est-elle intimement liée à celle de son territoire ?

La relation nouée entre l’aéroport et son territoire s’articule en deux phases historiques. La première se situe dans l’entre-deux-guerres. Il faut imaginer le plateau de Longboyau à cette époque : uniquement des champs, et une aviation encore très expérimentale. De nombreux Parisiens se déplaçaient le week-end pour voir les avions voler, comme lors d’un meeting aérien.

À partir de la Seconde Guerre mondiale, le trafic s’intensifie et la relation avec les riverains change. Lorsque l’État décide, en 1947, de construire le Grand Orly, pour faire d’Orly l’aéroport principal de Paris, plusieurs zones pavillonnaires doivent être détruites. C’est vraiment à cette période que l’on bascule d’un territoire très « champêtre » à une zone de grosses infrastructures et de banlieues. Paris-Orly va aussi créer beaucoup d’emploi, et pour répondre à ce besoin, toute la bordure de l’aéroport va peu à peu s’urbaniser.

Un phénomène de transformation similaire s’est déroulé à Paris-Charles de Gaulle, mais l’impact a été plus fort à Paris-Orly. Notamment parce qu’en parallèle, pour faciliter l’arrivée de produits frais en provenance du sud, le marché des Halles de Paris a été déplacé en 1969 dans la ville de Rungis, proche de l’aéroport. Cela a donné naissance, au nord d’Orly à un territoire dédié à la logistique et l’agro-alimentaire.

La nationale 7 et les installations terminales vues depuis le sud, 1962

À l’échelle régionale, la mutation de l’aéroport d’Orly en grand aéroport de Paris a redessiné l’urbanisme du territoire francilien. Dans les années 1950 pour faciliter la jonction entre l’aéroport et Paris, on construit l’autoroute du Sud et la première portion du périphérique parisien  entre la Porte de Vanves et la Porte d’Italie. Puis avec la construction du marché d’intérêt national (MIN) de Rungis on double l’autoroute du Sud en 1972.

Au final, dans cette partie de l’Île-de-France, on voit surgir pendant les Trente Glorieuses, Rungis, l’A86, le Centre commercial de Belle Épine. C’est un territoire dont toute l’urbanisation s’est accélérée grâce à l’aéroport !

Retrouvez toute l’histoire de Paris-Orly dans le livre de Paul Damm : Orly, aéroport des sixties, réalisé par la région Île-de-France avec le soutien du Groupe ADP et en partenariat avec le musée Air France, et publié aux éditions Lieux Dits.

Avec une contribution de Laurence Bartoli. Version anglaise : Paul Smith. Photographies de Jean-Jacques Moreau, Hubert Serre, Jean Cassan du Groupe ADP. Photographie contemporaine: Stéphane Asseline, de la région Île-de-France. Infographie : Hervé Bouilly.

 

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