Laure Kermen est déléguée générale de la Fondation du Groupe ADP. Elle revient pour nous sur les multiples projets que la Fondation accompagne, leur raison d’être et leurs impacts concrets sur les jeunes accompagnés, comme sur leurs parents. Rencontre.
Après une carrière en cabinets ministériels, pourquoi avoir voulu rejoindre le Groupe ADP ?
J’ai travaillé 17 ans sur l’accompagnement des politiques sociales : le service civique, le RSA, la CMU, etc. Mon parcours est très axé politique publique mais le mécénat d’entreprise m’a toujours intéressée : ce n’est pas un hasard si je suis arrivée chez le Groupe ADP et pas chez Coca-Cola !
Le Groupe ADP gère une mission de service public : comment une grosse entreprise participe-t-elle à l’intérêt général de son territoire ? Au-delà de l’aspect purement économique, doit-elle avoir un rôle et, si oui, lequel ? Avec le P.-D.G. du Groupe ADP, Augustin de Romanet, nous avons choisi la question de l’accompagnement des jeunes. Dès le collège, trop de jeunes subissent leur orientation et se retrouvent à 17 ans sans formation et sans emploi. Le taux de décrochage scolaire est conséquent. Nous souhaitions agir pour leur donner toutes les chances d’accéder à l’emploi dans les meilleures conditions, et, surtout, de choisir leur orientation !
9 %
c’est le pourcentage moyen de jeunes qui sortent chaque année de l’école sans diplôme ou avec seulement le brevet des collèges.
Je suis rentrée dans le Groupe ADP en 2015 avec la mission suivante : structurer l’engagement de l’entreprise. Nous avons commencé par créer une fondation d’entreprise, en juin 2015. Notre message est clair : faire du mécénat, soutenir une cause et accompagner un tissu associatif. La Fondation est un investissement pour l’avenir : dès lors que vous touchez à un sujet comme l’éducation, c’est forcément du long terme.
« Notre message est clair : faire du mécénat, soutenir une cause et accompagner un tissu associatif. »
Quelles actions concrètes mettez-vous en place ?
Notre fil rouge, c’est l’apprentissage et la prévention de l’illettrisme et du décrochage scolaire. On commence dès la maternelle ! Scientifiquement, un enfant qui arrive en CP avec moins de 500 mots à son vocabulaire est déjà en échec scolaire. Nous agissons dès la moyenne section de maternelle pour développer le vocabulaire et éviter les difficultés.
En premier lieu, nous assurons des programmes auprès des petits, entre 4 et 11 ans, de la maternelle à la primaire. Ensuite, nous intervenons de la sixième à la terminale. L’un de nos plus gros programmes, Clé, est destiné à lutter contre l’illettrisme.
Pour les enfants ayant des problèmes de langage, nous accompagnons l’association Coup de pouce, qui propose d’accompagner des groupes de 5 enfants grâce à un médiateur spécialisé. Tous les jours d’école, toute l’année, ils bénéficient d’un module supplémentaire d’une heure et demie – sur un mode ludique bien sûr, pas académique ! – pour rattraper leur retard. L’enjeu, c’est qu’ils arrivent en CE2 en ayant acquis l’écriture, la lecture et le calcul.
« Notre fil rouge, c’est l’apprentissage et la prévention de l'illettrisme et du décrochage scolaire. »
Nous proposons également un accompagnement spécifique du collège à la terminale, tout au long de la scolarité : de la méthodologie scolaire, mais aussi de la méditation, du yoga, des ateliers d’orientation… Ou encore des stages, des séjours de préparation au brevet à la mer ou à la campagne. Grâce à ça, on a des taux de réussite de 98 % .
98 %
c’est le taux de réussite au brevet, des collégiens soutenus par les associations accompagnées par la Fondation du Groupe ADP
Le rôle des associations que nous accompagnons est de soutenir les équipes éducatives : certains collaborateurs vont dans les classes présenter le Groupe ADP et ses activités. En quatrième, ils connaissent la tour de contrôle, le pilote de ligne et l’hôtesse. J’aime leur expliquer que, pour faire tourner tout l’écosystème, il y a plus de 2 500 métiers qui interviennent avant qu’un avion puisse décoller ! On met en place un système de mentorat, des collaborateurs deviennent tuteurs ou parrains de certains enfants et proposent des discussions ou du soutien scolaire. On essaie vraiment d’être présents et de leur proposer des choses qui les intéressent, de façon à les maintenir dans une scolarité positive !
Nous maintenons aussi, avec tout un panel d’associations et de partenariats, un programme d’éducation par la musique : on s’est aperçu que ça fonctionnait très bien sur la lutte contre le décrochage scolaire. Plusieurs de nos partenaires interviennent dans les collèges et lycées autour de nos plateformes, en complément de nos programmes déjà existants. Il y a par exemple deux orchestres Démos, que l’on finance au sud de Paris (91 et 94) ainsi que Paris Mozart Orchestra qui intervient dans 12 collèges. La musique est structurante pour les enfants : ils apprennent la méthode, la rigueur, à s’occuper d’un instrument et en prendre soin.
« La musique est structurante pour l’apprentissage des enfants. »
Dans les départements de la Seine-et-Marne et de la Seine-Saint-Denis, nous avons aussi deux programmes de « classes-orchestre » académiques, qui travaillent sur le temps de l’école. En plus de leurs cours de mathématiques et d’histoire, ils pratiquent six heures de musique par semaine. Nous voyons des enfants en très grande difficulté en fin de CM2, reprendre pied dans leur scolarité. Grâce à ce programme-là, ils sont suivis, accompagnés. On leur redonne confiance en eux ! Je me souviens d’un collégien qui expliquait à quel point jouer du violon lui a évité de décrocher : je pense vraiment qu’avec ces programmes, nous avons évité le décrochage scolaire à des enfants.
« Grâce à la musique, nous voyons des enfants en très grande difficulté en fin de CM2 reprendre pied dans leur scolarité. »
Avec quelles associations travaillez-vous ?
L’un de nos plus gros partenaires est l’association Lire pour en sortir. Nous souhaitions aussi travailler avec les populations de jeunes incarcérés, très souvent en situation d’illettrisme, qui ont fait des bêtises à l’adolescence et se retrouvent en prison. L’idée est venue d’un avocat, qui a eu envie d’utiliser ce temps de détention pour en faire quelque chose d’utile en vue de leur réinsertion.
Il a mis en place des programmes de lecture et d’écriture pour donner une chance à ces jeunes de se réinsérer dans les meilleures conditions. Et vous réinsérer quand vous savez lire, écrire et compter c’est quand même plus facile que quand vous êtes en situation d’illettrisme ! Près de 3 000 jeunes sont passés entre les mains de cette structure et le taux de récidive a chuté de 66 %. Le fait d’avoir été suivis par des bénévoles formés spécifiquement les a aidés à réfléchir à leur situation et à reprendre des formations pour se réinsérer. Il n’existe pas beaucoup de programmes de mécénat en prison alors que c’est extrêmement utile. Lorsqu’on voit la population carcérale en surnombre aujourd’hui, on se dit qu’on a bien fait.
Cette année, nous développons aussi un nouveau programme avec Lire pour en sortir pour permettre à de jeunes pères de lire des histoires à leurs enfants en bas âge qui viennent les voir en prison. Cela permet d’avoir un vrai temps de parentalité, mais aussi de faire passer le message de l’importance de la lecture pour ne pas suivre le même parcours de vie.
66 %
c’est la diminution du taux de récidive en prison pour les jeunes accompagnés par l’association Lire pour en Sortir, soutenue par la Fondation du Groupe ADP
De manière générale, nous sommes très attentifs au fait que les parents soient partie prenante du programme. Notre volonté n’est pas de leur dire que l’on sait mieux que tout le monde comment faire : au contraire, plus les parents seront volontaires et positifs vis-à-vis du programme que l’on propose à leur enfant, mieux ça va marcher. Pour « Coup de pouce » par exemple, l’animateur prend toujours le temps de faire un retour individuel à chaque parent. À travers ce programme, nous renouons un lien de confiance avec les parents en valorisant le travail des enfants. Cela change le rapport avec les parents, qui ne sont plus angoissés par le mot dans le carnet !
Dans les collèges où l’on a ce programme, les équipes éducatives nous disent que la tension baisse. On rentre à nouveau dans un dialogue positif avec les enfants.
En outre, beaucoup de parents d’enfants que l’on accompagne rencontrent des difficultés pour parler français. Dès lors qu’ils commencent à être en relation avec la communauté éducative de leurs enfants, ils font eux-mêmes l’effort d’apprendre le français. C’est une démarche passionnante que nous n’avions pas anticipée. Ça veut dire qu’ils s’ouvrent vers l’extérieur et ne restent plus dans une communauté fermée, bien qu’elle puisse être confortable. D’autant que, on ne s’en rend pas compte car on le parle couramment, mais le français est une langue extrêmement difficile à apprendre. Nous les aidons à trouver les bonnes formations près de chez eux.
« À travers nos programmes, nous renouons un lien de confiance avec les parents en valorisant le travail des enfants. »
Quels sont les critères à remplir pour obtenir le soutien de la Fondation du Groupe ADP ?
Tous les ans, nous lançons un appel à projet ouvert du 1er janvier au 31 mars. Toutes les associations qui sont dans notre champ d’action et font partie des 98 villes sélectionnées peuvent déposer un dossier. S’il nous manque des éléments, nous pouvons organiser une rencontre sur site. Nous présélectionnons les dossiers entre avril et fin mai, puis nous présentons entre 15 et 25 projets au comité de sélection, qui se tient généralement fin juin ou début juillet. Nous sommes assez exigeants, mais nous entrons au total entre cinq et dix nouveaux projets par an !
5 à 10
c’est le nombre de nouveaux projets soutenus chaque année par la Fondation du Groupe ADP
Comment avez-vous vécu la pandémie de la COVID-19 ?
Nous avons été très sollicités par les associations qui souhaitaient maintenir leurs activités à distance. Mais les enfants n’étaient pas toujours équipés à la maison, certains suivaient mêmes leurs cours sur des téléphones. La Fondation travaille avec une association qui s’appelle Break Poverty : elle récupère du matériel recyclé et équipe les gamins de nos territoires avec des ordinateurs. Il y a une vraie cassure numérique, et je ne vois pas comment on peut demander à un jeune de suivre correctement ses cours sans ordinateur, à distance ou non. Le stylo et le bloc-notes, c’est fini !
Avec la DSI, nous nous sommes mobilisés de façon extrêmement intense, en moins de dix jours. Au total, nous avons équipé, préparé et donné plus de 800 ordinateurs. On a chargé les camions pour des collectivités, des villes, des associations et des écoles pour qu’ils puissent les apporter aux élèves en question. Ils ont pu suivre les cours de leurs professeurs ainsi que les programmes que l’on soutient avec nos associations.
L’AP-HP a aussi fait appel à nous, parce qu’ils manquaient de tablettes : les familles ne pouvaient plus rentrer dans les services et, dans certains cas malheureux, le seul moyen de dire au revoir à leurs proches, c’était le digital. J’ai pris ma voiture et je suis allée livrer des tablettes à Bichat, à La Salpêtrière, là où il y avait besoin en urgence.
Quelles sont vos priorités pour les mois à venir ?
Nous continuons à consolider nos partenariats auprès des associations qui ont perdu des financements : quand nous sentons une fragilité, nous venons la combler. En 2022, nous allons nous pencher sur des sujets liés au décrochage scolaire : celle du harcèlement et du cyberharcèlement. Nous avons prévu de mettre en place deux nouveaux programmes pour travailler sur ce fléau dans les collèges. Le phénomène est en train de monter avec l’essor des réseaux sociaux, cela peut aller jusqu’à des suicides. Il s’agit d’une question délicate, mais j’ai d’ores et déjà repéré des programmes très intéressants à expérimenter dans nos collèges.
Vous considérerez que votre mission sera réussie si… ?
Après deux mandats de cinq ans, ma mission sera réussie si je vois des jeunes, que j’ai commencé à suivre en CP, arriver en 3ème avec une orientation qui a évolué dans le bon sens.