Architecte de formation, Julien Scavini, 35 ans, exerce la profession de tailleur à Paris depuis 2009. Il est également chroniqueur mode homme au Figaro Magazine. Ce passionné d’aviation a observé l’aéroport international… sous toutes ses coutures ! Dans son texte, l’auteur rend un bel hommage à Paul Andreu, le premier à travailler sur les plans de Paris-CDG, qu’il décrit comme «un poète au milieu des ingénieurs.»
EV : Comment décririez-vous les spécificités de Paris-Charles de Gaulle ?
JS : Ce qui m’intéresse le plus dans cet aéroport, c’est son immensité. En revisitant tous les terminaux, j’ai mieux perçu cet aspect de « ville dans la ville », avec son métro automatique CDGVal, ses multiples moyens de transport, sa chaufferie, sa multitude de bâtiments annexes et servitudes, et puis ses pôles industriels.
Inversement, quand vous prenez l’avion et que votre regard se porte sur les pistes, c’est tout plat et presque vide, une sorte de paysage naturel avec toutes ces petites lumières qui brillent à l’infini. Contrebalancé encore par ce fourmillement, cette foule de passagers et de gens qui travaillent au sein de l’aéroport. Ce sont des contrastes que j’aime.
À cet égard, il faut réhabiliter Paul Andreu, architecte de l’âge moderniste [qui a conçu les terminaux 1 et 2 NDLR]. Il a commencé à travailler dans les années 1960 en faisant table rase des idées d’avant-guerre. Entre 1935 et 1960 disons, on voyait l’aéroport comme un château : les passagers d’un côté et les avions de l’autre avec de belles perspectives. Paul Andreu l’a, lui, imaginé pour l’âge spatial, pour les avions, mais aussi pour les fusées. À l’époque, cela correspondait vraiment à une tentation de nouveauté. À Washington Dulles, à Los Angeles ou à Dallas Fort Worth, on essayait aussi de trouver de nouvelles formules pour construire des aéroports satellitaires, désarticulant terminaux et salles d’embarquement. A concevoir en somme des machines à prendre l’avion.
Avec les années 80, l’architecture aéroportuaire a quitté la passion, la rêverie pour se placer presque exclusivement sous l’angle de l’industrie lourde contrainte par la sécurité. Heureusement depuis une vingtaine d’années, avec les nouveaux standards de vie, on a réenchanté ces lieux, avec de nouveaux standards établis par les pays du Golfe et asiatiques.
Ce sont l’immensité et les contrastes de Paris-Charles de Gaulle qui me fascinent.
EV : Selon vous, quels sont les terminaux les plus intéressants sur le plan architectural ?
JS : Le Groupe ADP a toujours eu le courage, l’ambition et l’opportunité de développer un aéroport de taille mondiale, avec des terminaux nec plus ultra à chaque période.
Le 2F et ses deux coques de verre évoquent pour moi deux chapelles Sixtine. La façon dont les structures en acier, flottantes et aériennes, sont raccordées à une multitude de butons en arêtes de poisson, qui tiennent les verrières, c’est d’une somptuosité ! Avec cet agencement, on a le sentiment que la verrière tient toute seule.
EV : Comment envisagez-vous la réalité opérationnelle de l’aéroport ?
JS : C’est là que j’ai perçu la limite de la conception de Paul Andreu, centrée beaucoup sur la poétique de l’architecture. Mais il ne faut pas oublier que l’architecture est là pour servir une fonction. Paris-Charles de Gaulle reste un aéroport qui met en relation des voitures et des avions, avec des gens qui s’activent au milieu. Au-delà de la poétique de l’architecture, on assiste donc à une poétique de la vie et de ses usages.
Je ne suis qu’un humble passager en fait, je ne suis pas un professionnel de l’aérien. Et à ce titre, ce qui me fascine, c’est quand, derrière les vitres de la salle d’embarquement, je vois toute cette petite foule qui s’agite, les bagagistes en jaune sur la piste, mais aussi ces hôtes et hôtesses en uniforme, ces agents de location de voiture ou ces employés de chez Servair [traiteur spécialisé pour la préparation des repas dans les avions]. C’est l’apothéose de la ville moderniste, une ville qui n’a qu’une fonction certes, mais dans laquelle il y a du plaisir, avec des bars, des restaurants, des centres commerciaux.
Ce qui me fascine, c’est quand, derrière les vitres de la salle d’embarquement, je vois toute cette petite foule qui s’agite.
EV : À vos yeux, est-ce un lieu de vie agréable?
JS : Moi je serais ravi de travailler à Paris-Charles de Gaulle. Le personnel que j’ai rencontré s’y crée des habitudes, courses chez Marks & Spencer ou dans les Relay, petites consultations au cabinet médical, praticité de trouver des pharmacies, etc. Il y a également le centre commercial d’Aéroville pour faire les boutiques ou aller au cinéma. Certes, ce n’est pas du tout la même chose de travailler à Paris-Charles de Gaulle que de travailler à Paris intra-muros. Les repères changent. Ville dans la ville, mais aussi petite ville en soi. À Paris-Charles de Gaulle, il y a des forces de police, des espaces verts, un parc hôtelier, etc.
Ajoutons à cela que l’aéroport n’est pas seulement du béton et du bitume, c’est tout un écosystème naturel. Paris-Charles de Gaulle, c’est une surface couverte en majorité d’herbage. Et quelques majestueux grands arbres. Le travail sur les réserves d’eau y est remarquable, je l’évoque dans mon livre. On peut parler de biodiversité, puisqu’on y trouve des renards ; de temps en temps il y a quelques chevreuils ; il y a des oiseaux, des petites bêtes… dont des lapins !
Au nord de Roissy, vers Louvres, il y a des villages et des prairies à chevaux. J’ai trouvé étonnant de n’y rien entendre de l’aéroport. Ces zones d’habitation sont situées en dessous du niveau de l’aéroport. Il est comme un voisin qu’on ne voit pas.
Le pôle aéroportuaire a un effet magnétique. Il s’est fait rattraper par la ville, alors qu’au début il en était loin. C’est d’ailleurs ce que les études d’urbanisme montrent. Il a attiré le long du « corridor aéroportuaire », le reliant à Paris à travers la Seine Saint Denis, des entreprises qui s’y sont installées, et avec elles des entrepôts, des emplois, des maisons, des habitants.
L’aéroport Paris-Charles de Gaulle, ce n’est pas seulement du béton et du bitume, c’est tout un écosystème naturel.
EV : Votre livre est très poétique. Il existe même un chapitre qui permet de suivre les mouvements d’un avion.
JS : Si vous regardez attentivement ce qui se passe, c’est comme une valse cadencée, un vrai ballet des avions qui décollent, atterrissent, des pilotes, du personnel au sol, dans les aérogares. Tout le monde a un but dans cet aéroport, personne n’y va pour ne rien faire… sauf moi de temps en temps ! On s’y rend pour voyager, pour partir en vacances, pour le plaisir. Cela participe de la poétique du lieu.
C’est un lieu où la terre s’allège, comme si les gens, en montant à bord, délestaient la terre. Une fois que l’avion décolle, c’en est fini de la lourdeur du transport, de ces nombreux passagers, des tonnes de métal de la carlingue.
C’est aussi un des derniers lieux où l’uniforme a une valeur et cela contribue à la beauté du lieu, à son harmonie. Cela renforce l’idée de ballet, de valse. Quand vous croisez une hôtesse de l’air dans le métro à Paris, habillée pour le travail, cela vous fait rêver quasi instantanément : vous vous dites qu’elle va partir, pourquoi pas à New-York ou dans les Caraïbes…